Deux ou trois choses que je sais d'elle

Deux ou trois choses
que je sais d'elle
Description de cette image, également commentée ci-après
Grands ensembles vus depuis le parc de La Courneuve.
Réalisation Jean-Luc Godard
Scénario Jean-Luc Godard d'après Le Signe de Guy de Maupassant et un article de Catherine Vimenet publié dans le Nouvel Observateur
Acteurs principaux
Sociétés de production Argos Films
Anouchka Films
Les Films du Carrosse
Parc Films
Pays de production Drapeau de la France France
Drapeau de l'Italie Italie
Genre comédie dramatique
étude sociale
Durée 95 min
Sortie 1967

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution

Deux ou trois choses que je sais d'elle est un film franco-italien réalisé par Jean-Luc Godard, sorti en 1967.

Synopsis et contexte

Portrait de Juliette Jeanson, jeune mère de famille habitant dans un grand ensemble de la région parisienne, qui s'adonne à la prostitution occasionnelle. À travers elle, le portrait est également celui de la société tout entière, et de la région parisienne des années 1960 :

« 2 ou 3 choses que je sais d'elle / Elle, la région parisienne. »

— Cartons du générique[1].

Fiche technique

Distribution

Production

Le cadre d'écriture et de réalisation du film est celui des Trente Glorieuses, période de profondes mutations de la France sous les présidences du Général De Gaulle – modernisation du pays à grande vitesse, construction de grands ensembles pour pallier les crises du logement d'une population qui devient de plus en plus urbaine et bénéficie de surcroit d'une croissance démographique importante liée au Baby-boom – dans le contexte international de la Guerre du Vietnam et des affrontements idéologiques est-ouest auxquels Jean-Luc Godard s'est toujours intéressé.

Au début du film, en voix off murmurée, Jean-Luc Godard dit :

« Le 19 août a été publié dans le journal officiel, une loi sur les services publics de la région parisienne. Deux jours plus tard, Paul Delouvrier est nommé préfet de Paris. La déclaration officielle dit qu'il est équipé de structures bien définies ». Godard ajoute : « il est sûr que l’aménagement de la région parisienne va permettre au gouvernement de poursuivre plus facilement sa politique de classe. Et aux grands monopoles d’organiser et d’en orienter l’économie sans tenir compte des besoins et des aspirations à une vie meilleure de ses 8 millions d'habitants[2]. »

Il ajoute :

« Quand on soulève les jupes de la ville, on en voit le sexe. »

— Jean-Luc Godard.

Le tournage du film se déroule du 8 août au 8 septembre 1966[1], avec les scènes extérieures réalisées à la Cité des 4000 à La Courneuve (Seine-Saint-Denis) et porte de la Chapelle à Paris.

Après que Marina Vlady ai repoussé la demande en mariage de Jean-Luc Godard juste avant le début des prises de vue, celui-ci ne lui adresse plus la parole comme elle le relate dans ses mémoires[3] :

« Je n'ai plus entendu sa voix s'adresser directement à moi pendant le tournage. Il me donnait des ordres, des textes à répéter après lui grâce à un système de micro-oreillette. Pour le reste, c'était son assistant, Charles Bitsch, ou bien le chef opérateur, Raoul Coutard, qui m'indiquaient les emplacements à occuper, les mouvements que le personnage de Juliette devait exécuter devant la caméra. J'étais extrêmement mal à l'aise — comme tous les autres acteurs, d'ailleurs. Ce système ne laissait que peu de place aux émotions. Nous étions tous à l'écoute, tendus pour exécuter les ordres. Souvent, Jean-Luc nous piégeait en nous posant une question personnelle. Par exemple, il me demanda :
— Définis-toi en un mot, et réponds en regardant droit dans l'objectif.
Furieuse, je lançai :
— Indifférence !
On peut voir ce plan dans le film au cours d'une scène de café.
Cette technique lui a permis d'étayer sa thèse selon laquelle les acteurs sont les meilleurs robots, formule qu'on lui prête et que je soupçonne d'être authentique. Le résultat n'en est pas moins stupéfiant : cette tension dans l'écoute confère à chacun une étrange présence, une inquiétude latente qui choquent et dérangent. Seule la scène avec le petit Christophe Bourseiller, qui joue mon fils, me permet d'être plus naturelle. […] J'ai gardé le souvenir que c'est la seule et unique fois où il m'a laissée improviser. »

Polémique sur la préparation

Marie Cardinal décrit la période en amont du tournage du film dans son ouvrage Cet été-là écrit en 1967 et dont la deuxième édition (seule disponible) parue aux Nouvelles Éditions Oswald en 1979 donne en annexe deux documents :

  • « Examen du film dans son état actuel »
  • « Choses à filmer »

La lecture de ces deux documents provoque chez Marie Cardinal une profonde colère car elle a travaillé sur les conditions difficiles de vie des « étoiles filantes », ces femmes obligées de se prostituer pour nourrir leur famille[4]. L'auteure a pris la suite du travail d'investigation mené par la journaliste et écrivain Catherine Vimenet[N 1] qui a fait l'objet d'un article polémique dans Le Nouvel Observateur titré « Les étoiles filantes ».

Accompagnée du photographe Nicolas Tikhomiroff, Marie Cardinal a enquêté dans les HLM de la périphérie de Paris (été 1966)[N 2]. Pour elle,

« [le script de Godard] est un scandale et je le dis. Les "étoiles filantes" ne se prostituent pas pour acheter des robes, elles le font pour nourrir leurs enfants. Les "étoiles filantes" ne vont pas au George V, elles font le tapin du côté des Halles et hantent les hôtels meublés du quartier. Ce ne sont pas des pin-ups, elles sont moches. Présenter l'histoire de ces femmes différemment, c'est trahir leur cause[5],[6] ! »

Accueil critique

Amy Taubin (en), critique au Village Voice, considère ce film comme l'une des plus grandes réussites de l'histoire du cinéma[7].

Récompense

Il a reçu le Prix Marilyn Monroe du Cinéma en 1967, décerné par un jury exclusivement féminin comprenant Marguerite Duras, Florence Malraux, Anne Philipe ou Christiane Rochefort[8].

Notes et références

Notes

  1. La journaliste, collaboratrice de Jean Nohain, Jacqueline Weil, devenue Catherine Bergère (pseudonyme) puis Catherine Vimenet est l'épouse de Jean Vimenet.
  2. Voir le dossier présenté en 2016 par Camille Canteux sur la représentation des HLM.

Références

  1. a et b 2 ou 3 choses que je sais d'elle, découpage intégral, L'Avant-scène/Éditions du Seuil.
  2. Voir sur rayonpolar.com.
  3. Pages 164-165 des mémoires de Marina Vlady, 24 images/seconde : séquences de mémoire, Paris, Éditions Fayard, , 374 p. (ISBN 978-2-213-62358-0, présentation en ligne)
  4. Cardinal 1979, p. 53-54.
  5. Cardinal 1979, p. 54.
  6. Canteux 2016.
  7. (en) Amy Taubin, « 2 or 3 Things I Know About Her: The Whole and Its Parts », sur criterion.com
  8. (en) John Wakeman, =World Film Directors, Volume Two: 1945–1985, New York, The H. W. Wilson Company, (ISBN 978-0-8242-0763-2)

Voir aussi

Biblio-filmographie

  • Michel Duvigneau, « Deux ou trois choses que je sais d'elle », Téléciné no 135, Paris, Fédération des Loisirs et Culture Cinématographique (FLECC), , p. 38-39, (ISSN 0049-3287)
  • Marie Cardinal, Cet été-là, Paris, Nouvelles Éditions Oswald, (ISBN 2-253-02503-8), p. 53-54
  • Jean-Luc Godard, 2 ou 3 choses que je sais d'elle : Découpage intégral, L'Avant-scène/Éditions du Seuil, coll. « Points/films », , 128 p. (ISBN 2-02-000643-X, BNF 35199628)
  • Aurélie Cardin, « Les 4000 logements de La Courneuve : réalités et imaginaires cinématographiques », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, no 98,‎ (lire en ligne, consulté le )
  • Aline Leclerc, « Jean-Luc Godard filme aux 4000 (1967) », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  • Camille Canteux, Filmer les grands ensembles, Paris, Créaphis, coll. « Lieux habités », , 384 p. (ISBN 978-2-35428-069-7)
    Documentaire en ligne sur les représentations audiovisuelles des grands ensembles :
    Jeanne Menjoulet, « Filmer les grands ensembles », sur CNRS, . « Présentation », sur Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (consulté le ).

Liens externes