Incendies (pièce de théâtre)

Incendies
Projet marron
La mère de Jeanne et Simon dans une représentation au théâtre montréalais de Lise-Guèvremont, en 2012.
La mère de Jeanne et Simon dans une représentation au théâtre montréalais de Lise-Guèvremont, en 2012.

Auteur Wajdi Mouawad
Genre tragédie
Dates d'écriture 2003
Lieu de parution Arles / Montréal
Éditeur Actes Sud / Leméac
Date de parution 2003
Nombre de pages 118
ISBN 2742783369
Lieu de création en français
Compagnie théâtrale L'Hexagone - Scène nationale de Meylan
Metteur en scène Wajdi Mouawad
Personnages principaux
Jeanne/ Jannaane
Simon/ Sarwane
Le notaire Hermile Lebel
Nawal
Sawda
Nihad Harmanni / Abou Tarek
Antoine Ducharme

Incendies est une pièce de théâtre de Wajdi Mouawad créée le [1].

Présentation

Incendies est le deuxième volet de la tétralogie Le Sang des promesses amorcée avec Littoral en 1997 et qui sera suivi par Forêts et Ciels. L'œuvre est écrite au cours de répétitions avec une troupe de comédiens. Selon plusieurs sources, les diverses personnalités de la troupe auraient fortement influencé celle de plusieurs personnages. Cependant, l’influence de la vie de l’auteur sur son œuvre est manifeste, notamment en ce qui concerne l’impact de l’expérience de réfugiés de guerre que Wajdi Mouawad vécut dans sa jeunesse.

Cette pièce contemporaine s’illustre par un récit d’actualité, inspiré notamment de la vie de Souha Bechara[2], une militante libanaise. Ses racines puisent cependant dans la tragédie antique, plus spécifiquement dans le mythe d’Œdipe, ce qui fait d’Incendies une œuvre complexe jouant à différents niveaux.

Accroche

Lorsque le notaire Lebel fait aux jumeaux Jeanne et Simon Marwan la lecture du testament de leur mère Nawal, il réveille en eux l'incertaine histoire de leur naissance : qui fut donc leur père, et par quelle odyssée ont-ils vu le jour loin du pays d'origine de leur mère ? En remettant à chacun une enveloppe, destinées l'une à ce père qu'ils croyaient mort et l'autre à leur frère dont ils ignoraient l'existence, il fait bouger les continents de leur douleur : dans le livre des heures de cette famille, des drames insoupçonnés les attendent, qui portent les couleurs de l'irréparable. Mais le prix à payer pour que s'apaise l'âme tourmentée de Nawal risque de dévorer les destins de Jeanne et de Simon.

Analyse

Construction de la pièce

Le fil narratif de la pièce est particulier puisqu’il entremêle différents lieux et époques. Des personnages d’époques éloignées peuvent ainsi se croiser sur scène sans se parler. La situation initiale constitue le principal fil conducteur de la pièce, soit la quête de Jeanne et Simon qui se font aider par le notaire. Ce fil conducteur permet de poser efficacement la chronologie de la pièce et d’afficher clairement les analepses sur la vie de Nawal, la mère. L’auteur cherche ainsi à donner des réponses au spectateur et à savoir ou à deviner des choses sur le futur des révélations de Jeanne et Simon. Ces deux chronologies séparées finissent par se rencontrer lors du dénouement final.

L’élément perturbateur de la pièce ne correspond pas tout à fait à une définition traditionnelle. En effet, la mort de la mère, Nawal, semble pour Jeanne et Simon secondaire puisqu’ils affirment n’avoir aucun sentiment envers elle depuis qu’elle ne leur parle plus. Cependant, grâce à la persistance du notaire, l’impossible quête du père et du frère (qui ne sont qu’un) démarre, donnant ainsi lieu à l’histoire. C’est à ce moment-là que l’analepse débute. Le spectateur peut se rendre compte que c’est là l’élément perturbateur de la pièce : l’enlèvement du bébé de Nawal et Wahab et leur séparation. C’est cet évènement qui entraîne les péripéties de la pièce, le combat acharné de Nawal pour retrouver son enfant, sa volonté d’apprendre à lire et à écrire et son rejet des horreurs commises durant la guerre par les milices qui ont emporté son enfant.

Vient ensuite l’élément final : après une longue enquête, les deux jumeaux séparés en viennent à Charlotte au tableau 34. Celui-ci révèle que leur père n’est autre que leur frère qui a violé leur mère, « la femme qui chante » en prison. C’est ainsi que la boucle se referme avec la rencontre de Nihad à qui l’on remet les deux lettres ; elles expliquent la réelle raison du silence de Nawal, celle d’une femme violée et torturée par son propre fils et dont on a brisé le silence.

Personnage principal et rapports entre protagonistes

Le paradoxe réside dans le fait que le personnage principal de la pièce n’est plus en vie. Nawal, la mère, est l’élément clef de la pièce puisque toute l’histoire est centrée autour d’elle. On la découvre à la fois comme une étrangère avec Jeanne et Simon, ses deux enfants, mais aussi comme une jeune femme persuasive et téméraire qui partage l’intimité de ses sentiments avec divers protagonistes comme son amant Wahab, Nazira ou encore Sawda. Ces derniers apparaissent comme des personnages secondaires interagissant avec Nawal. De l’autre côté, plusieurs personnages épaulent les jumeaux dans leur quête, soit le notaire Hermile Lebel qui sert d’intermédiaire entre les vœux de la mère et ses enfants. C’est d’ailleurs par un monologue du notaire que débute la pièce. Il joue le rôle du chœur et donne à la pièce des accents à la fois comique et tragique.

Selon Esther Pelletier et Irène Roy

L’œuvre réalisée par le comédien, dramaturge et metteur en scène Wajdi Mouawad appartient à une nouvelle dramaturgie, qui privilégie la quête de soi et abandonne la quête de l’identité collective, à la suite de l’échec du référendum pour l’indépendance au Québec en 1980, qui ouvre la voie à une génération de nouveaux auteurs privilégiant l’exploration des territoires intimes[3]. Dans ce contexte se développe ce qu’on appelle le « théâtre migrant »[4], au sein duquel Mouawad fait entendre sa voix. Il s’agit en effet d’un migrant, venu du Liban, qui s’est installé d’abord en France, puis au Québec, où la pièce apparaîtra en 2003. Cette écriture migrante naît dans les années 1980 et ces auteurs sont caractérisés par la capacité de poser un regard critique sur la culture québécoise, tout en y intégrant la leur.

Selon Mouawad, le but fondamental de la création théâtrale est celui de retrouver son identité : cependant, son imagination et sa créativité ne sont pas liées à l’immigration. « Si j’en tirais quelque chose, je devrais reconnaître la pertinence de l’exil, de la guerre. Je refuse. Je ne suis pas un auteur ‘sur’ l’immigration », il affirme dans un entretien avec Jean-François Côté[5]. Toutefois on ne peut éviter les souvenirs d’enfance, cette dernière définie par Mouawad dans Incendies « un couteau planté dans la gorge »[6]. Effectivement, l’auteur tire son inspiration d’un de ces souvenirs pour écrire le récit de Nawal : il se souvient avoir assisté quand il avait 7 ans à un attentat contre un autobus rempli de civils palestiniens perpétré par les milices chrétiennes. Cela montre, comme le remarque Pierre L’Hérault, que l’œuvre « ancre le plus précisément et le plus explicitement sa dramaturgie dans l’origine libanaise »[7].

Du point de vue formel, les procédés analysés seront le cadre spatio-temporel et l’écriture scénique de l’artiste, qui fait appel dans cette œuvre à l’imagination du spectateur, sous le biais de l’expérimentation en direct du phénomène théâtral[3]. La caractéristique fondamentale de l’esthétique théâtrale de Mouawad est que la quête de soi s’incarne dans une mise en scène qui suscite la créativité du spectateur. La diégèse alterne le présent au passé, elle est marquée par la présence d’indices comme des cahiers, des lettres, des photos, qui font revivre dans le présent ce qui est absent, appartenant au passé. En effet, lors de la mort de leur mère Nawal, Jeanne et Simon découvrent ses ultimes volontés et pour parvenir à les respecter ils doivent revenir sur son passé. Nawal découvre en Nihad son fils, qu’elle avait été obligée d’abandonner pour ne pas déshonorer sa famille, qui est aussi le père des jumeaux, nés d’un viol qu’elle avait subi en prison pendant la guerre. Ceci constitue le nœud tragique central de la pièce, faite de naissances, de violence et de guerre. Dans ce contexte les temps verbaux se chevauchent, en créant un effet de simultanéité. La coexistence de deux ou trois situations éloignées dans le temps prend signification en rattachant tous les fils les uns aux autres, et donne les réponses qui fermeront le cercle.

De plus, à la coprésence de présent et passé s’ajoutent ‘l’ici’ et ‘l’ailleurs’ qui correspondent à la quotidienneté de la vie québécoise qui est décrite dans la pièce de la même façon que la lointaine période de guerre. La compréhension du spectateur de la présence des deux réalités dans la pièce est facilitée par une langue familière, le joual québécois qui s’entremêlent à un Français recherché et à la musicalité de la langue arabe.

En ce qui concerne l’espace scénique, celui-ci est vide. Les objets de scène sont rares et ont une fonction métaphorique (le nez rouge que Nawal donne à Nihad, par exemple)[3] : dans cette création la parole poétique s’incarne dans des images percutantes grâce à un recours à des objets familiers.

L’immense succès de ce spectacle semble tenir à l’originalité des procédés de mise en scène qui ont entraîné les spectateurs sur les chemins de leur imaginaire, les invitant à représenter à travers la force évocatrice des images, les lieux de l’intrigue et les situations rapportées[3].

Citations

« Il y a des vérités qui ne peuvent être révélées qu’à condition d’être découvertes. »

— Tableau 38[8]. Nawal explique la raison de ses actions.

« Jeanne, fais-moi encore écouter son silence. »

— Tableau 38[8]. La dernière phrase de la pièce, prononcée par Simon qui accepte le destin.

« L'enfance est un couteau planté dans la gorge. » Testament de Nawal.

Éditions

Mise en scènes notables

Adaptations

Notes et références

  1. Voir notice de spectacle du catalogue général de la BnF.
  2. F. Da., « Le sourire de Souha Bechara, reflet d'un Liban combattant », Le Monde, .
  3. a b c et d Esther Pelletier et Irène Roy, « Incendies : Évoquer pour susciter l’imaginaire et montrer plutôt que dire », Nouvelles Études Francophones, University of Nebraska Press, vol. 30, no 2,‎ , p. 111-128.
  4. Simon Harel, Les passages obligés de l’écriture migrante. Montréal : XYZ Éditeur, 2005.
  5. Jean-François Coté, Architecture d’un marcheur. Entretiens avec Wajdi Mouawad, L’écritoire. Montréal : Leméac, 2005, p. 81.
  6. Ivi, p. 145.
  7. Pierre L’Hérault, “De Wajdi… à Wahab” Cahiers de théâtre Jeu 111.2 (2004) : 100.
  8. a et b P. 132, Actes Sud, coll. « Babel ».
  9. « Théâtre en acte – Œuvre : "Incendies", Auteur : "Wajdi Mouawad", Mise en scène : "Wajdi Mouawad" », sur www.reseau-canope.fr (consulté le )
  10. « Incendies », sur @lacollinetheatrenational (consulté le )
  11. « Littoral, Incendies, Forêts », sur Festival d'Avignon (consulté le )
  12. « Théâtre en acte – Œuvre : "Incendies", Auteur : "Wajdi Mouawad", Mise en scène : "Stanislas Nordey" », sur www.reseau-canope.fr (consulté le )
  13. Brice Parent, « Incendies de Wajdi Mouawad », sur ATEA - Atelier théâtre de l’École alsacienne, (consulté le )
  14. « festival Off Avignon - Du 7 au 30 juillet 2022 », sur www.festivaloffavignon.com (consulté le )
  15. Voir sur youtube.com.

Voir aussi

Bibliographie

Radio

Liens externes