Projet Artichoke
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ARTICHOKE est un projet secret de la CentraI Intelligence Agency (CIA) sur les techniques d'interrogatoire et de manipulation mentale. Il est l'héritier de BLUEBIRD, qui est renommé le , et devient un sous-projet de MK-ULTRA lorsque celui-ci débute, le .
Une partie des activités clandestines liées à ces programmes sont révélées dans les années 1970, après les enquêtes demandées par le président Gerald Ford et le Sénat des États-Unis. Bien que les archives de la CIA sur les efforts menés pour influencer le comportement aient été détruites en 1973, plusieurs fichiers classifiés ont été retrouvés en 1977. Ces nouvelles révélations ont conduit à une seconde série d'auditions.
Contexte
ARTICHOKE s'inscrit dans la lignée des recherches sur le contrôle de l'esprit entreprises par l'Office of Strategic Service (OSS) pendant la Seconde guerre mondiale[1],[2], puis par la marine des États-Unis avec le projet CHATTER[3].
Dans un contexte de guerre froide, la CIA met en place un projet similaire en 1949 et 1950 pour contrer d'éventuelles avancées réalisées par l'URSS et la Chine dans ce domaine[4]. BLUEBIRD est focalisé sur les techniques d'interrogatoire et l'utilisation du LSD à des fins de renseignement[5],[6].
Au cours de la guerre de Corée, dès 1950, les militaires américains sont confrontés à plusieurs incidents impliquant des soldats faits prisonniers, ce qui intensifie les soupçons sur les capacités communistes[7],[8].
Le , le nom de code du projet BLUEBIRD change et devient ARTICHOKE[6],[9],[10].
Généralités
Direction
Dans la continuité du projet BLUEBIRD, les recherches et les expérimentations sont supervisées par un comité composé de cadres appartenant à plusieurs sections de la CIA. Initialement sous la responsabilité administrative de l'Office of Security (OS), les scientifiques de l'Office Of Scientific Intelligence (OSI) se sont peu à peu imposés à tête du projet, entraînant un conflit entre les deux bureaux de l'agence. En , ARTICHOKE est à nouveau confié à l'OS, dirigé par le colonel Sheffield Edwards[4],[9],[11].
Pour encadrer la partie scientifique du projet, Allen Dulles recrute le Dr Sidney Gottlieb, recruté en 1951 pour diriger la division chimie du bureau des services techniques de la CIA (TSS)[8],[10],[12]. Le centre des recherches et des données opérationnelles est situé à Fort Detrick, Maryland, tandis que de nombreux sites aux États-Unis et à l'étranger sont utilisés pour les expérimentations[5],[10].
Objectifs
Les objectifs du projet évoluent avec les avancées réalisées au cours des projets précédents permettent la recherche et l'application de capacités autrement offensives que la collecte d'informations. Le , le colonel Sheffield Edwards rappelle les principaux objectifs liés à ARTICHOKE lors d'une réunion[13],[14] :
- Perfectionner les techniques utilisant les drogues existantes et l'hypnose pour obtenir des informations ;
- Fournir des équipes de terrain pour tester et affiner ces techniques sur les agents ennemis dans des conditions de terrain ;
- En coordination avec le TSS et le personnel médical, organiser la recherche et l'expérimentation pour le développement de moyens permettant de contrôler des individus, qu'ils soient volontaires ou non ;
- Explorer les moyens, par l'endoctrinement et la formation, d'empêcher l'ennemi de prendre le contrôle des activités et des capacités mentales des membres du personnel de l'agence.
Il est précisé « qu'en raison de l'expansion du travail effectué dans tous les domaines du programme ARTICHOKE, de l'augmentation constante du nombre de contacts et de consultants et de la possibilité imminente d'entreprendre des travaux expérimentaux aux États-Unis et à l'étranger, il serait bon de redéfinir les intérêts et les activités spécifiques de tous ceux qui travaillent sur le projet ARTICHOKE »[13].
Activités
De 1951 à 1953 : avant le projet MK-ULTRA
Continuité des recherches et des expérimentations
Lors des expérimentations qui ont lieu entre 1951 et 1953, plusieurs méthodes sont testées : l'induction de la dépendance aux opiacés puis le sevrage forcé, le recours à l'hypnose et à différentes combinaisons de drogues pouvant induire une amnésie, des hallucinations ou d'autres états seconds exploitables sur le long terme. Pour cela, en plus du LSD, des produits comme la mescaline, le tétrahydrocannabinol, l'héroïne, les amphétamines, la cocaïne et les barbituriques sont testés,[3],[5],[14].
Outre l'utilisation d'agents chimiques, la lobotomie et les électrochocs sont aussi envisagés. En 1952, l'OSI propose de consacrer 100 000 $ au développement de « techniques neurochirurgicales » dans le but d'obtenir des informations pertinentes[1],[5],[15]. Des équipes d'interrogatoire sont envoyées à l'étranger pour y mener des expérimentations sur des prisonniers ou des agents soupçonnés de collusion avec l'ennemi. En 1952, au moins quatre équipes sont déployées en Allemagne, en France, au Japon et en Corée du Sud[10],[11].
Intérêt pour les champignons hallucinogènes
En parallèle, des agents sont envoyés dans différentes régions du monde à la recherche de toute plante présentant un profil intéressant. Des champignons ayant des propriétés hallucinogènes, l'amanita muscaria et le psilocybe mexicana, intéressent fortement les scientifiques du projet, qui sont notamment influencés par les travaux de R. Gordon Wasson. Le recrutement de ce banquier new-yorkais passionné de mycologie est proposé en 1951[5],[16],[17],[18]. À partir du psilocybe mexicana, Albert Hoffman, de retour d'un voyage au Mexique avec Wasson, a pu isoler la psilocybine. Ce puissant psychotrope est donc ajouté à la longue liste des substances utilisées dans le cadre du projet[5],[17].
De 1953 à 1973 : sous-projet de MK-ULTRA
Programmation d'un assassin
Un agent en particulier, Morse Allen, milite pour utiliser davantage l'hypnose et approfondir l'étude des amnésies. Selon lui, de tels phénomènes multiplient les possibilités et les potentielles finalités, aussi bien pour la CIA que pour l'ennemi. En 1954, Allen pousse les expérimentations jusqu'au conditionnement de l'esprit d'une personne afin qu'elle commette un meurtre[19],[20],[21].
Le , Allen se lance dans une tentative simulée en hypnotisant une secrétaire, parvenant à la convaincre de la nécessité de tirer sur sa collègue pour la réveiller. Malgré sa peur des armes à feu, la secrétaire finit par tirer avec une arme déchargée. Mais Allen et son équipe concluent à l'existence de plusieurs failles opérationnelles. La question de l'élimination du sujet une fois l'assassinat perpétré apparaît comme une préoccupation majeure. Celle des possibles fuites entre la personnalité de la cible et celle induite par la transe hypnotique inquiète aussi les chercheurs[20],[21].
Fin du projet
En 1953, ARTICHOKE devient un sous-projet de MK-ULTRA, gardant son appellation d'origine[9],[22],[14]. Au début des années 1970, l'ensemble de ces programmes sont arrêtés. En 1973, Richard Helms, directeur de l'agence depuis 1966, ordonne la destruction de toutes les archives en lien avec le contrôle de l'esprit. Ainsi, il est difficile de connaître dans le détail l'ensemble des activités menées[23],[24].
Notes et références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Project ARTICHOKE » (voir la liste des auteurs).
- (en) « Description du matériel BLUEBIRD/ARTICHOKE », CIA-RDP81-00261R000300050005-3 [PDF] (rapport), sur cia.gov, déclassifié le 01/05/2002
- ↑ (en) John M. Crewdson et Jo Thomas, « Files Show Tests For Truth Drug Began in O.S.S. », The New York Times, (lire en ligne)
- Marks 1979, Chap. 3 : The Professor and the "A" Treatment, p. 27-38
- Marks 1979, Chap. 2 : Cold War on the Mind, p. 18-26
- (en) Martin A. Lee et Bruce Shlain, « In The Beginning There Was Madness … », dans Acid Dreams : The Complete Social History of LSD: The CIA, The Sixties, and Beyond, Grove Press, , 268 p. (ISBN 0-802-13062-3)
- Albarelli 2009, Book Two : From Brainwashing to LSD - Chapitre 2 : Bluebird
- ↑ Marks 1979, Chap. 8 : Brainwashing, p. 93-109
- (en) Ted Gup, « The Coldest », The Washington Post, (lire en ligne)
- (en) Commission Church - Sénat des États-Unis, Ninety-Fourth Congress, Second Session, Book I : Foreign and Military Intelligence, Washington, U.S. Government Printing Office, , 659 p. (lire en ligne), p. 385-390
- (en) Stephen Kinzer, chap. 4 « The Secret That Was Going to Unlock the Universe », dans Poisoner In Chief : Sidney Gottlieb and the CIA Search for Mind Control, New York, Henry Holt & Company, , 320 p. (ISBN 9781250140449, LCCN 2019007076)
- Albarelli 2009, Book Two : From Brainwashing to LSD - Chapitre 3 : Artichoke
- ↑ Jean-Christophe Piot, « Sidney Gottlieb, chimiste empoisonneur, mandaté par la CIA pour manipuler les cerveaux », Ouest-France, (lire en ligne
)
- (en) Colonel Sheffield Edwards, « Note du projet ARTICHOKE - 16 juillet 1953 », CIA-RDP83-01042R000800010010-3 [PDF], sur cia.gov, déclassifiée le 27 août 2003
- (en) Alfred W. McCoy, A Question of Torture : CIA Interrogation, from the Cold War to the War on Terror, Metropolitan Books, , 290 p. (ISBN 0805080414), p. 26-30
- ↑ (en) Bill Richards, « CIA Project Eyed Lobotomy, Electric. Shock Techniques », The Washington Post, (lire en ligne [PDF])
- ↑ (en) « Note du Psychological Strategy Board de la CIA - 7 mai 1951 », CIA-RDP80-01446R000100140040-8 [PDF], sur cia.gov, déclassifiée le 24/09/1998
- Marks 1979, Chap. 7 : Mushrooms to Counterculture, p. 80-92
- ↑ Aureliano Tonet, « Quand la CIA testait les champignons hallucinogènes », Le Monde, (lire en ligne
)
- (en) « Note du projet ARTICHOKE - 22 janvier 1954 », DOC_0000140399 [PDF], sur cia.gov, déclassifiée le 1er septembre 1999
- Marks 1979, Chap. 11 : Hypnosis, p. 137-145
- (en) Nicolas M. Horrock, « C.I.A. Documents Tell of 1954 Project to Create Involuntary Assassins », The New York Times, (lire en ligne)
- ↑ (en) Jan Goldman, The Central Intelligence Agency : An Encyclopedia of Covert Ops, Intelligence Gathering, and Spies, ABC-CLIO, , 911 p. (ISBN 1610690915), p. 26
- ↑ (en) Nicholas M. Horrock, « Destruction of LSD Data Laid to C.I.A. Aide in '73 », The New York Times, (lire en ligne)
- ↑ Marks 1979, Chap. 12 : The Search for the Truth, p. 146-162
Annexes
Bibliographie
- (en) John D. Marks, The Search for the Manchurian Candidate : The CIA and Mind Control, Times Books, , 162 p. (ISBN 0-8129-0773-6)
- (en) Hank P. Albarelli Jr., A Terrible Mistake : The Murder of Frank Olson and the CIA's Secret Cold War, Trine Day, , 912 p. (ISBN 9780984185887, LCCN 2009934693), partie II, chap. 3 (« Artichoke »)
Articles connexes
Lien externe
(en) « Documents déclassifiés du projet ARTICHOKE », sur cia.gov